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Beitrag vom 20.09.2009
Interview avec Agnès Varda
A. Vartanian, K. Meier
Venue à Berlin saluer l´ouverture au cinéma l´Arsenal d´une rétrospective de l´ensemble de son oeuvre, l´extraordinaire cinéaste française Agnès Varda a bien voulu partager quelques instants ...
... avec nous son gout de la vie, des autres et du cinéma.
A 80 ans, elle fait toujours des films inclassables, plein d´énergie joyeuse, de délicatesse et d´onirisme, d´autodérison et de fantaisie. Elle dresse un portrait d´elle à travers les autres et des portraits des autres à travers elle. Les autres : ses proches, les gens qui l´entourent, ceux qu´elle a connus, filmés, aimés. Dans Les Plages d´Agnès (2008), Agnès Varda, lancée en même temps que la Nouvelle Vague par Cléo de 5 à 7 (1962), donne vie à ses souvenirs, ses riches heures de photographe des débuts du Festival d´Avignon, puis de cinéaste et productrice de près de 40 films, dont les célèbres L´une chante l´autre pas (1977), Sans toi ni loi (1985), Jane B. par Agnès V. (1987), ou Les Glaneurs et la glaneuse (1999), de vidéaste enfin, puisqu´une nouvelle voie s´est ouverte à elle après 2003 par la réalisation d´installations vidéo dans des galeries et musées.
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© Aurélia Vartanian, 2009 |
AVIVA-Berlin : Que pensez-vous de la rétrospective que donne le cinéma l´Arsenal de l´ensemble de vos films ?
Agnès Varda : C´est une merveille pour moi ! Quand je rencontre quelqu´un qui me dit : " oh vous savez, j´aime beaucoup Cléo ", un film que j´ai fait en 1961, ou quand des gens me parlent de
Sans toit ni loi, un film qui a déjà 25 ans, ça c´est les vrais récompenses ! Les rétrospectives nous aident à maintenir les films vivants. J´ai des rétrospectives partout dans le monde, au Portugal, à Harvard University, elles me font un plaisir grand, très grand, je me sens comme un ours de Berlin a qui on donne du miel !
AVIVA-Berlin : Comment a été reçu en France votre film
Les Plages d´Agnès, qui retrace 80 années de vie et 55 années de cinéma ?
Agnès Varda : En France, j´ai de la chance, pour le moment 250 000 personnes ont vu le film, ce qui pour moi est magnifique, quand on sait quel drôle de film c´est. Le public rentre dans le film, il prend ce qu´il veut, mange ce qu´il veut, trouve une connexion, par la photo, par la grand-mère, par la dame qui a perdu la mémoire, par la plage, par ce que je raconte… A ma grande surprise et à mon grand plaisir, il y a beaucoup de jeunes qui voient ce film. Je raconte ma vie et c´est une vie remplie. J´ai traversé la moitié du XXe siècle, Il y a eu beaucoup d´évènements importants. Je me suis trouvée au bon moment, au bon endroit. J´ai été en plein milieu de la révolution et des acquis du féminisme, même si ce n´est pas gagné, il y a quand même des tournants importants, particulièrement le contrôle des naissances qui est une découverte scientifique gigantesque, pour moi c´est aussi important que Gutenberg qui a inventé l´imprimerie, j´ai décrété ça.
AVIVA-Berlin : A-t-il été facile pour vous de produire ce film ?
Agnès Varda : Souvent les gens résistent à faire mes films, personne ne veut les produire, quand j´ai dit " je vais faire mon portrait ", on m´a répondu : " bon d´accord c´est un documentaire, on vous donne 2 Francs 50 ", j´ai dit " non, je vais faire un
grand film de spectacle ! Mais en même temps un petit spectacle sincère." Il y a un avantage à se produire soi-même : on gère l´argent autrement, on fait des économies sur des choses où des gens sont peut-être larges mais par contre on dit que ça vaut la peine de faire venir un cirque à la plage, que ça vaut la peine de s´équiper de sable en plein Paris… Dans le bonus des
Plages d´Agnès que je viens de finir, j´ai filmé ces camions gigantesques qui arrivent et déversent des tonnes de sables comme ça devant la maison ! C´est à ça que sert l´argent et pas forcément à faire des
production values plus officielles : à suivre la fantaisie et la liberté que je me donne.
AVIVA-Berlin : Dès l´âge de 26 ans, en 1954, vous aviez déjà crée votre maison de production Tamaris-Films, pour produire votre premier film,
La Pointe courte. Pouvez-vous nous raconter cette aventure hors du commun ?
Agnès Varda : J´étais photographe et je n´avais pas d´autre intention que d´être photographe. Je faisais mon labo la maison, à l´époque vous savez tout le monde faisait ses produits soi-même, on faisait tout. Et puis c´est vrai que je ne sais pas exactement comment j´ai "switché". J´avais écrit un scénario. Je me suis dit : personne ne va le produire. Avec une fille qui arrive, 25 ans, qui est photographe, et qui a juste un acteur inconnu, Philippe Noiret, et Silvia Monfort, un tout petit peu connue ! Il semblait normal de l´autoproduire. J´avais un peu d´argent que ma mère m´a prêté et un peu d´argent de mon héritage parce que mon père était mort. J´ai eu l´idée de faire une coopérative pour donner la possibilité à ceux qui n´avaient pas été payés de toucher de l´argent si le film marchait. On a acheté une 2 chevaux parce que c´est une voiture dont peut ouvrir le toit pour faire des travellings, on a loué une maison, on a tous habité dedans, ce n´était pas du tout une production riche mais c´était l´autonomie évidement. Et on s´est lancé ! On a mis 2 ans à sortir le film pendant deux semaines seulement à Paris, il n´a jamais remboursé ce qu´il a coûté mais il a été tout de suite acheté par les cinémathèques, montré partout dans les cinéclubs, été célèbre chez les journalistes et chez les écrivains de cinéma. C´est une espèce de tournant du cinéma français. Après la Nouvelle Vague est arrivée avec tous ces films nouveaux et on m´a appelée
la grand-mère de la Nouvelle Vague !
AVIVA-Berlin : Comment avez-vous développé Ciné-Tamaris, votre maison de production ?
Agnès Varda : J´ai essayé de faire des films avec d´autres productions, mais quand j´avais perdu de l´argent avec un film, plus personne ne me voulait. Vous voyez
Sans toit ni loi, qui a été vraiment célèbre, j´ai été le présenter à beaucoup de productions. C´est vrai que si vous dites " c´est une fille rebelle, sale, elle dit merde à tout le monde et elle va mourir dans un fossé ", ce n´est pas un scénario tellement attirant. Tout le monde a refusé. On a demandé un peu d´aide au CNC (Centre National du Cinéma) et on s´est lancé avec très peu d´argent. Après, ça a fait boule de neige. Comme on avait gagné beaucoup d´argent, on a produit deux films avec Jane Birkin. Finalement les producteurs ne me proposent rien parce qu´ils se disent elle veut tout faire toute seule. C´est un cercle vicieux. Alors Ciné-Tamaris s´est develloppé, on a produit plusieurs films, Jacques Demy était content qu´on restaure
Les Parapluies de Cherbourg,
Peau d´Ane,
Les Demoiselles de Rochefort, c´est mes enfants qui s´en sont occupé, Mathieu Demy et Rosalie Varda Demy. On a produit
Les Glaneurs, fait les DVD. Mon cinéma est un peu
home made. Nous sommes contents de prendre les décisions. Par exemple je fais mes films annonce. Beaucoup de gens disent qu´un film d´annonce doit être fait par des professionnels mais moi je sais mieux ce que je voudrais envoyer comme signal ! On va sortir le DVD des
Plages d´Agnès. J´ai fait moi-même les suppléments. Ça m´amuse. J´ai l´impression de faire de l´artisanat et pas du commerce.
AVIVA-Berlin : Votre enfance à Bruxelles, en Belgique, est-elle pour vous une source d´inspiration ?
Agnès Varda : J´aime la Belgique. Mais je ne fonctionne pas sur les souvenirs, contrairement à Jacques Demy qui fonctionnait sur les souvenirs d´enfance à 200%. Mon enfance n´est pas une source d´inspiration. Les choses qui m´inspirent c´est plutôt tout de suite, le présent, pas le mien, mais tout le présent, c´est là que je trouve l´excitation, l´envie. En plus je ne suis pas du tout attirée par les techniques de psychanalyse, je vois bien que c´est déterminant pour la compréhension de la vie et la psychologie... mais ce n´est pas mon truc !
AVIVA-Berlin : Vous parlez dans les
Plages d´Agnès (2008) de votre "première nuit de liberté", le jour où, adolescente, vous avez entrepris de faire une fugue qui vous a conduit à Marseille, puis en Corse où vous avez vécu trois mois avec des pêcheurs. Dans
Sans toit ni loi (1985), une jeune femme, Mona, erre sur les routes et campe dans le froid. Votre fugue adolescente vous a-t-elle aidée pour créer ce personnage ?
Agnès Varda : Elle m´a aidée pour tout ! Elle m´a donné un sentiment de liberté et surtout un sentiment de capacité. D´abord parce que mes parents ne m´ont pas cherchée. Je me suis dit " tiens ? "
Je leur ai demandé
plus tard pourquoi ils n´ont pas prévenu la Police. Mon père redoutait le scandale. Alors j´étais morte dans un fossé ? Et ils ne l´auraient pas su ? (la jeune femme du film Sans toit ni loi meurt seule dans un fossé) Ça m´a impressionnée, ça m´a aussi décrochée de la notion de parents. Et puis quand j´étais adolescente, j´étais terriblement peureuse du monde des hommes. Vous savez, il y a soixante dix ans, il y avait l´idée qu´on ne peut rien faire quand on est une fille. La liberté c´était de dire : oui je suis capable de faire la pêche et de gagner un tout petit peu d´argent ! C´est l´ouverture pour faire un cinéma sans avoir peur. Je fais des projets, personne ne me dit que c´est bien, mais bon, j´ai pas peur, je me lance !
AVIVA-Berlin : Dans
Les Plages d´Agnès (2008), vous dites que, dans votre jeunesse, "rien n´était mieux que les poètes et les peintres surréalistes". Quelle trace ont-ils laissé sur vos films ?
Agnès Varda : Je travaille avec cette trace sur l´idée du collage, de l´association libre. Le principe surréaliste de l´association d´idées fonctionne énormément dans mes films, parce que c´est ça qui en fait la structure. Les plages sont chronologiques mais à l´intérieur de ça, j´ai tout le temps pris des virages qui sont liés à des tournants mentaux, des zigzags et du zapping mental ! Le collage, ça veut dire aussi se laisser aller, changer. Une grande partie de mon travail se fait au montage, il a duré neuf mois pour ce film. Quand je sentais qu´il manquait quelque chose, je repartais tourner ! La deuxième grande leçon du surréalisme, c´est de mettre en situation la chance. Quand je commence à tourner, le hasard est mon premier assistant. Le hasard met très souvent en place la force même de la scène.
AVIVA-Berlin : Votre film
Sans toit ni loi (1985) est dédié à l´écrivaine française Nathalie Sarraute. Dans
Les plages d´Agnès vous évoquez votre amitié pour elle. Sauriez-vous définir l´influence de Nathalie Sarraute sur votre travail ?
Agnès Varda : Vous avez-lu Nathalie Sarraute ? Parce que c´est difficile ! C´est comme s´il y avait quelque chose derrière ce qu´elle écrit, comme une image virtuelle derrière l´image. Elle s´est battue avec les mots, avec la structure des phrases, et quelquefois on ne la comprend pas tout à fait bien, alors on est dans la frustration, avec cette impression de vouloir comprendre, cette impression d´insaisissable. Le titre de tournage de
Sans toit ni loi était justement
"à saisir" ! J´ai aussi eu la chance d´être amie avec elle. J´allais la voir, on ne parlait pas de littérature, elle buvait de la vodka, fumait ses petites cigarettes, elle rigolait… Et elle est morte à presque cent ans, elle était toujours aussi charmante dans la vie et secrète, secrète, c´est ça que j´ai bien compris dans ma vie avec Jacques Demy, la création, c´est secret finalement. Elle avait une vie avec un avocat, une vie très bourgeoise, et quand elle était à sa table, elle était toute seule avec ses histoires.
AVIVA-Berlin : Vous avez vécu pendant 32 ans avec le cinéaste Jacques Demy, auteur des célèbres films musicaux avec Catherine Deneuve
Les Parapluies de Cherbourg (1964),
Les Demoiselles de Rochefort (1967) et
Peau d´Ane (1970). Vous lui avez rendu hommage dans Jacquot de Nantes (1991), film sur ses souvenirs et ses rêves d´enfant. Avez-vous l´impression de vous être influencés mutuellement en tant que cinéastes ?
Agnès Varda : On vivait en couple, de chaque coté de cette petite cour qui a 4 mètres, mais chacun était seul dans son univers. On parlait, on partageait beaucoup de choses, y compris le lit, surtout le lit, mais je n´avais pas envie de travailler avec Jacques. Cela se voit qu´on n´est pas influencé l´un par l´autre. Un jour quelqu´un nous a dit à propos des
Parapluies de Cherbourg et du
Bonheur : vous aimez la couleur tous les deux. Mais il n´y a aucun rapport justement en terme de couleurs ! Le film
Les Parapluies de Cherbourg a été influencé par les peintres fauves, vous savez, des couleurs très violentes, il a peint la boutique en orange, rouge. Quand j´ai fait
Le Bonheur, j´ai essayé de m´approcher des peintres d´Ile de France, des Impressionnistes.
AVIVA-Berlin : Depuis 2003, vous réalisez des installations vidéo. Est-ce pour vous sentir plus libre ?
Agnès Varda : Je me sens toujours très libre ! Mais en même temps très limitée par mes propres limites. Parce que quelques fois je pense que je n´ai pas assez d´imagination ou pas assez de talent. Mais je fais avec, mon petit paquet. Les installations, j´ai commencé à en faire en 2003, c´est très exaltant. J´ai fait
Patatutopia à la Biennale de Venise. Il y avait 3 grands écrans avec des patates et en plus 700 kg de patates au sol. Pour attirer les gens, je portais un costume de patate. J´ai une satisfaction à travailler dans le milieu des musées. Je fais des images qu´on ne pourrait pas mettre dans un film de cinéma, parce qu´au cinéma les gens veulent quand même un petit peu de spectacle, un petit peu de mouvement, un récit.
AVIVA-Berlin : Vous racontez qu´à 25 ans, quand vous avez décidé de faire votre premier film, vous n´aviez vu que 9 ou 10 films. A quel point vous êtes vous sentie cinéaste ?
Agnès Varda : Je suis devenue cinéaste le jour où j´ai fait le premier plan de mon premier film. Quand j´ai eu envie de devenir cinéaste, je ne savais pas très bien ce que je voulais faire. J´avais seulement envie de faire ce film avec ma connaissance des pêcheurs de la Pointe courte et mon désir d´opposer les problèmes d´une société en collectivité et des individus en privé. Je pense qu´on est tout le temps tiraillé entre la vie privée et la vie sociale. Quand vous avez un enfant tout à coup et qu´en même temps vous êtes en train de finir un travail professionnel… Mes films contiennent toujours cette idée qu´on est tout le temps pris entre deux discours, entre deux situations, deux points de vue, parce que la vie est contradictoire, presque à chaque instant.
AVIVA-Berlin : Nous vous remercions de nous avoir accordé cette interview et vous souhaitons le meilleur pour vos futurs projets.
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© Aurélia Vartanian, 2009 |
Rétrospective au cinéma l´Arsenal Site internet d´Agnès Varda : www.cine-tamaris.com