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Beitrag vom 27.10.2011
Interview de Catherine Ringer, francais
Aurélia Vartanian
Catherine Ringer et Fred Chichin se sont connus en 1979 et, jusqu`à la disparition de Fred à 53 ans en 2007, ce couple de musiciens exceptionnels a formé les Rita Mitsouko, ...
... groupe dont ils étaient à la fois producteurs, compositeurs et interprètes. Fidèles à la salle de concert La Cigale à Paris, dans le quartier de Pigalle, ils ont traversé ces 28 années de chanson avec une ferveur, une générosité et une audace qui ont profondément marqué la scène musicale française. Catherine Ringer relève aujourd`hui le défi et sort Ring n`Roll, son premier album solo de "l`après-Rita". A cette occasion, elle revient sur scène à la rencontre d`un public chaleureux où souvent quelqu`un s`écrit : "Catherine, on t`aime !"
AVIVA-Berlin : Votre style musical combine des influences très diverses : rock, funk, musique orientale, latine, pop, chanson, world-music, électro... Quelles sont, en dehors de la musique, les sources d`inspiration de vos chansons ?
Catherine Ringer : Beaucoup de choses m`ont inspirée. La science fiction, le roman, l`histoire, la géographie, la philosophie ou même les mathématiques : il m`est arrivé par exemple de composer une chanson sur le nombre zéro. J`ai été dans les bibliothèques, j`ai lu des textes, j`ai réfléchi à ce que signifie ce nombre. Pour la musique elle-même, je fais partie d`un monde musical moderne où l`on peut sampler les bruits qui nous entourent, le son des objets, de la vie mécanique, des moteurs, des oiseaux, sons qui peuvent être aussi inspirants qu`une chanson qu`on aime. Je fais feu de tout bois : je suis une "enfant du zapping" peut-être...?
AVIVA-Berlin : Tout au long de votre carrière musicale avec les Rita Mitsouko, et dernièrement pour la chanson Pardon extraite de votre dernier album, vous avez apporté un soin très particulier à la réalisation des clips vidéo qui accompagnent vos chansons. Vos clips sont des petits chefs d`œuvre d`inventivité, d`originalité et d`humour, à l`image de vos chansons. Celui de Marcia Baïla réalisé par Philippe Gautier en 1985 a été diffusé au MOMA de New York. Quand vous évoquez la science fiction, je pense au clip de Cool Frénésie, sorte de dessin animé futuriste. Que racontent cette chanson et son vidéo clip ?
Catherine Ringer : Cette chanson parle du voyage, de l`excitation d`aller vers de nouvelles terres, géographiques ou non. Elle raconte l`expérience du départ vers l`inconnu...
AVIVA-Berlin : A l`exception de l`album Variéty sorti en 2007, pour lequel il existe, fait rare, deux versions, l`une en français, l`autre en anglais, vous avez toujours chanté en langue française. Certaines de vos chansons ont cependant, même pour le public français, un petit côté mystérieux. Vos textes sont-ils toujours clairs pour vous, ou gardent-ils parfois une part obscure, inconsciente, à vos propres yeux ?
Catherine Ringer : Je sais toujours moi-même de quoi je parle dans une chanson, mais il est vrai que, digne héritière des Beatles, de John Lennon et de l`univers pop, j`ai écris beaucoup de textes qui peuvent sembler un peu obscurs. Dans Marcia Baïla, notre premier succès, les gens ne savaient pas si on disait "c`est la mort qui t`a assassinée Marcia" ou "c`est l`amor (l`amour, en espagnol) qui t`a assassiné Mattias" ou bien ils ne comprenaient pas que Morretto était le nom de famille de Marcia, la jeune danseuse argentine disparue des suites d`un cancer dont parle cette chanson. Depuis que je suis gamine, je sens en moi cette impulsion à écrire sous forme poétique des choses indicibles et j`ai essayé, toute au long de ma carrière, d`exprimer ces choses de plus en plus clairement, encouragée en cela par mon partenaire musical Fred. "Soit plus claire, c`est plus agréable ! Point trop n`en faut, des choses incompréhensibles !" me disait-il.
AVIVA-Berlin : Les Rita Mitsouko ont à leur actif de très nombreux tubes, connus d`un très large public : Le petit train sorti en 1988, Andy, C`est comme ça, ou Les histoires d`A en 1986, Marcia Baïla en 1984... Parmi vos chansons, quelles sont celles que vous voudriez que les gens écoutent encore dans un siècle, deux siècles ?
Catherine Ringer : J`aime que les chansons aient leur indépendance, que le public se les approprie. J`aime la plupart des chansons mais pour ce qui est de moi, de mon égo, je ne tiens pas spécialement à rester pour toujours sur la planète. Je suis ravie à l`idée de partager mes éléments, après la mort, et de revivre sous forme de carbone, calcaire... Que la vie continue sans moi ! Sans adhérer à une religion en particulier, je suis assez mystique et j`aime me sentir reliée au reste du monde. Ne pas être simplement soi, centré sur sa petite personne, est un sentiment très équilibrant.
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© Aurélia Vartanian |
AVIVA-Berlin : Déjantée, délirante : au fil du temps les journalistes n`ont cessé de vous qualifier ainsi. Cette facette de votre personnalité s`exprime-t-elle en priorité sur scène, dans la musique, ou bien est-elle aussi présente dans votre vie de tous les jours ?
Catherine Ringer : Beaucoup de journalistes disent aussi maintenant :
"bien qu`elle soit moins délurée que dans sa jeunesse...",
"elle s`est assagie". Suis-je toujours marrante et curieuse ? La fantaisie, le plaisir de vivre, les petites aventures de tous les jours, sauter sur les occasions de rire, de s`étonner... sont des choses que j`aime à la vie comme à la scène.
AVIVA-Berlin : Cette passion pour la fantaisie, la joie de vivre, vous la rattachez à l`histoire de votre père, Sam Ringer, un jeune peintre juif arrêté en Pologne au début de la guerre et qui a survécu à la déportation, puis est venu vivre à Paris où vous êtes née. "Je me sens responsable de la joie" dites vous dans une interview.
Catherine Ringer : Le fait d`avoir eu tant de morts autour de moi, dans mes ascendants, dans cette guerre terrible qui a touché les deux côtés de ma famille, m`a rendue comme dépositaire d`un effet inverse, d`une rage de vivre, comme un gazon qu`on rase et qui repousse encore plus, un poil qu`on arrache et qui revient de plus belle ! Une herbe folle, porteuse d`une force de vie démultipliée.
AVIVA-Berlin : Dans une chanson très émouvante de l`album
Cool Frénésie (2000),
C`était un homme, vous évoquez votre père, sa passion pour l`Art qui l`a soutenu dans l`épreuve de la déportation, sa force de caractère, le miracle de sa survie dans les camps où il a été interné entre 1940 et 1945. "C`était un homme difforme" chantez-vous. L`expression ne risque-t-elle pas de choquer ?
Catherine Ringer : L`expression, née de la rime homme/difforme, est en effet difficile. Certaines personnes ont pu la trouver bizarre. Mon père avait été déformé par les camps et n`était pas capable d`être une personne à part entière, au niveau des ressources sentimentales et psychologiques. J`ai souffert d`avoir un père qui n`était pas facile. En tant que peintre, il aimait également le difforme, le monstrueux, le grotesque, inspiré en cela par Jérôme Bosch dans sa peinture.
AVIVA-Berlin : La chanson
Le petit train décrit le parcours bucolique d`un train dans la campagne. Puis on s`aperçoit qu`il s`agit d`un train de la mort. Le thème est tout à fait inédit dans l`univers de la musique pop/rock/électro. Comment avez-vous eu l`idée d`écrire cette chanson ?
Catherine Ringer : J`ai vu passer un jour dans la rue des petits enfants d`une école maternelle qui se tenaient les uns les autres par les épaules en chantant cette chanson d`un chanteur français des années cinquante : "le p`tit train s`en va dans la campagne..." A ce moment-là , j`étais en train de composer avec mon partenaire Fred une musique dans le style de Prince, pour laquelle nous n`avions pas encore de paroles. Soudain, la vision de ce train dans la campagne m`a évoqué les trains vers les camps. Ce n`était pas quelque chose dont j`avais l`intention de parler en tant que fille de déporté etc. C`est une image qui s`est imposée à moi, une soudaine évidence : l`image de ce train dans lequel des choses horribles se passent, au milieu d`un paysage verdoyant, où le lait déborde des mamelles des vaches et des femmes nourricières. C`est une onde poétique qui est à l`origine de cette chanson comme de beaucoup d`autres.
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© Aurélia Vartanian |
AVIVA-Berlin : En concert, votre compagnon Fred Chichin vous accompagnait à la guitare. Aujourd`hui, c`est votre fils de 19 ans, Raoul, qui se tient sur scène à vos côtés. Quel a été son parcours musical ?
Catherine Ringer : Raoul était déjà un super musicien, ayant fait ses preuves depuis deux ans sur scène dans des clubs avec son groupe, quand je lui ai demandé de participer comme interprète sur les séances de studio de l`album
Ring N`Roll. Quand j`ai monté la tournée, j`ai gardé le batteur et le bassiste de la tournée précédente, mais j`ai voulu changer le joueur de clavier et le guitariste. C`était une chose logique de demander à notre fils de nous rejoindre et nous en sommes très contents. Si son père n`était pas mort, cela se serait déroulé de la même façon. L`idée avait déjà été évoquée des années auparavant, quand il était plus jeune et qu`il apprenait la guitare : "peut-être qu`un jour tu pourrais venir jouer avec nous..." lui disait-on. Il a appris la musique en autodidacte, en travaillant sur les disques à l`oreille, comme ses parents avant lui, en demandant des conseils. Après c`est les premiers publics qui font figure de second professeur ! En revanche, chaque fois que j`ai essayé, en tant que parent, de mettre un gamin en présence d`un enseignant de piano, ça n`a jamais marché !
AVIVA-Berlin : Votre rapport à la musique s`est-il modifié avec le temps ? Avez-vous accru votre compréhension de la musique au fil d`une carrière débutée il y a plus de trente années maintenant ?
Catherine Ringer : Je fais des progrès. J`essaie de rester en apprentissage. Etant autodidacte, j`ignorais beaucoup de choses. Par exemple, j`ai été pendant des années réfractaires au solfège, après une aventure malheureuse qui m`est arrivée à l`âge de huit ans. Depuis que j`avais trois ans, je jouais à la flûte tout ce que j`entendais. Au bout d`un moment, j`ai eu envie d`en savoir plus, d`aller à l`"école de la flute". "Connaissez-vous la musique ?" M`a-t-on demandé. Comme je ne connaissais pas le solfège, j`allais être contrainte de passer deux années à l`apprendre avant de pouvoir à nouveau toucher un instrument ! Depuis j`ai acquis quelques connaissances en solfège, alors que c`était encore un problème dans les Rita Mitsouko, Fred était désolé que je refuse même d`apprendre les accords de guitare.
AVIVA-Berlin : Une de vos chansons les plus marquante,
La Sorcière et l`Inquisiteur (sur l`album
Cool Frénésie, en 2000), raconte, dans une ambiance un peu médiévale, l`histoire d`amour fulgurante entre une femme condamnée pour sorcellerie et son bourreau. Comment avez-vous écrit cette chanson ?
Catherine Ringer : Tony Visconti (producteur des Sparks et de David Bowie) et Fred attendaient que je termine les paroles de trois ou quatre chansons de l`album
Système D dont nous avions fini les mélodies. J`étais enfermée dans un bureau depuis deux jours, enfermée dans mes textes que je n`arrivais pas à rédiger, horriblement anxieuse, car j`avais déjà noirci beaucoup de papier. J`ai posé le stylo avec lequel j`écrivais de la main droite et soudain j`ai vu mon autre main qui disait "essaye moi ! essaye moi !" comme dans
Alice au pays des merveilles. Cela m`a immédiatement calmée et j`ai commencé doucement à écrire avec la main gauche, la main du cœur, de l`inconscient, cette histoire qui m`est apparue comme flash, une illumination intérieure : celle d`une vie antérieure qui aurait été la mienne.
AVIVA-Berlin : Après la mort de votre compagnon, vous avez perdu l`envie de chanter. Trois ans et demi plus tard,
Ring N`Roll, votre premier album solo, est unanimement salué par la critique pour sa joie, son énergie ludique ou chaotique, sa force de vie toujours présente. Cet album porte aussi une profonde mélancolie, qu`on entend principalement dans la chanson Mahler, hommage intime et bouleversant à Fred Chichin. Le fait d`être un personnage public, d`être souvent interrogée sur ce deuil, vous a-t-il aidé ou vous a au contraire été pénible ?
Catherine Ringer : Les deux à la fois. Cette chanson a pour musique la Symphonie n°5 de Mahler, qu`on entend dans le film de Visconti
La mort à Venise. Mais ce n`est pas la raison de mon choix. C`est simplement une musique que Fred aimait tout particulièrement.
AVIVA-Berlin : Merci beaucoup pour cette interview et bonne chance pour tout.
Catherine Ringer : C`est moi qui vous remercie !
Albums :Les Rita Mitsouko:1984 :
Rita Mitsouko1986 :
The No Comprendo1988 :
Marc & Robert1993 :
Système D2000 :
Cool Frénésie2002 :
La Femme trombone2007 :
Variety (édition française) /
Variety (version anglaise).
Catherine Ringer:2011 :
Ring N`RollPour plus d`informations :www.catherineringer.com www.myspace.com/ritaspiritVidéo Clips :Marcia BaïlaCool FrénésieLe petit trainPour lire cette interview en allemandArticles sur AVIVA-Berlin : Les Rita Mitsouko - VarietyCatherine Ringer - Ring n`Roll